ELLE à Table. - Comment t'es venue l'idée d'arrêter le sucre ?

Danièle Gerkens. - J'étais journaliste au ELLE à l'époque, je travaillais beaucoup sur la société et la santé. Et c'est quelque chose que je voyais monter aux États-Unis, pas vraiment sur le marché français. Quand on est journaliste, c'est fabuleux parce qu’on couvre plein de sujets mais en même temps on peut parfois avoir le sentiment de ne pas aller suffisamment en profondeur. Et j'ai eu envie de mener une expérience sur une durée suffisamment longue pour permettre à mon organisme de s'habituer et pas seulement quelques jours ou semaines. Du coup, j'ai décidé d’arrêter le sucre sur un an complet, de manière à avoir aussi les quatre saisons, etc.

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ELLE à Table. - Avais-tu déjà songé à arrêter le sucre avant ce projet de livre ?

D.G. - Jamais. Moi, je suis belgo-suisse donc je suis née avec le double gène du chocolat au lait. Je n'ai jamais été un bec ultra-sucré, mais j'aime ça. Quand j'ai commencé à réfléchir à ma consommation de sucre, je me suis rendu compte que j’en mangeais plusieurs fois par jour, quasiment tous les jours.

ELLE à Table. -  Précisément, quels aliments avais-tu éliminé de ton alimentation ?

D.G. - C'est très simple, j'ai retiré de mon alimentation tout ce qui comportait des sucres ajoutés. À chaque fois qu'il y avait ingrédient « sucre », je ne le mangeais pas, donc j'ai continué à manger des fruits bruts ou cuisinés, du riz, des pâtes, des pommes de terre, du pain aux céréales, etc. Par contre, tout ce qui comportait des sucres ajoutés, je l'éliminais, c'est-à-dire : gâteau, chocolat, glace, yaourt, crème, dessert, nourriture industrielle.
En fait, il y a du sucre ajouté dans tout. Vous regardez les ingrédients d’une brique de soupe de poireaux, on trouvait, à l'époque en tout cas, l'ingrédient sucre dedans. Quand je fais des soupes de poireaux maison, je ne mets pas de sucre. On n’a pas le choix, si on veut éliminer les sucres ajoutés, il faut regarder les listes d'ingrédients. 

ELLE à Table. - Quelles avaient été tes plus grosses surprises ?

D.G. - C'était le salé, en fait il y a du sucre dans tout ce qui salé : bretzels, soupes, sauces industrielles, et même la mayonnaise. Il y en a partout ! Mais cela se comprend, le sucre est un stabilisateur, un exhausteur, un additif qui permet de donner de la masse, et c'est un ingrédient très peu cher, comme le sel et le gras.

ELLE à Table. - Peux-tu nous expliquer en détail les effets de la consommation du sucre ?

D.G. - Quand vous consommez un produit sucré, vous avez une double production de dopamine dans le cerveau. Il y a une première production au moment où vous avez le goût sucré en bouche. Il faut savoir que toutes nos papilles, et pas juste une zone de la bouche, contiennent des récepteurs à goût sucré, je dis bien à goût sucré, pas à sucre. Donc dès que vous avez une sensation de sucré en bouche, il y a 3 millisecondes et poum, il y a des neurones dans le cerveau qu'on appelle les neurones dopaminergiques, qui vont produire de la dopamine. La dopamine, c'est un neurotransmetteur de l'envie et du bien-être. Lorsque vous digérez et qu’il y a du sucre dans l'aliment que vous avez consommé, cela fait monter votre glycémie. Or, le cerveau étant baigné par le sang en permanence, ce sang chargé en sucre avec une glycémie élevée va repasser également dans ces fameux neurones et va recracher de la dopamine. Donc en fait, vous avez un double shoot de dopamine, là où avec la cocaïne, vous en avez qu'un seul.

Et lorsque vous mangez du salé qui contient du sucre, vous allez avoir un shoot de dopamine au moment de la digestion puisque ça fait remonter la glycémie. Et donc les producteurs, les industriels qui mettent du sucre dans les produits salés là où ce n'est pas nécessaire, ils savent que le consommateur va interpréter ce produit comme bon parce qu'il va y avoir ce shoot de dopamine.

J'ai perdu des rides, j'ai « déridé »

ELLE à Table. - Quels avaient été les effets immédiats de cette alimentation sans sucre ajouté ? Au bout de combien de temps environ ?

D.G. - Au bout d'une semaine/10 jours, cela était difficile, avec de vraies envies. J'ai compris par la suite : quand on consomme beaucoup de sucre appelés autrefois « sucres rapides », les proportions de bactéries ne sont pas les mêmes dans l'intestin. Il y a toute une série de bactéries de l'ordre des champignons qui sont plus nombreuses lorsqu'on mange beaucoup de sucre. Lorsqu'on arrête de manger beaucoup de sucres rapides, on ne les nourrit plus. En tout cas, il n’y a plus assez de sucres rapides pour toute cette population, donc ça va prendre quelques semaines pour que cette population se réduise. Pendant la phase où elle se réduit, que font ces champignons ? Ils produisent des neurotransmetteurs qui vous donnent très envie de sucre. Il m'a fallu trois mois pour stabiliser ces envies de sucre mais sur les 9 mois qui ont suivi, c'est comme si le sucre était descendu du moins 2 au moins 30, mais remontait en cas de stress.
La toute première chose, c'était l'énergie. Comme je ne consomme plus de produits sucrés, notamment le matin, j'ai une glycémie qui reste stable toute la journée, je n'alterne plus entre pics et chutes de glycémie.
En deuxième, la peau. Un jour, je me regardais dans mon miroir, peut-être au bout de quelques semaines, j’ai constaté que j’avais bonne mine. Puis dans les jours qui ont suivi, plusieurs personnes m'ont dit « Oh, t'as une super peau » etc. En fait, j'ai perdu des rides, j'ai « déridé ». Là j'ai 50 ans, je n'ai quasiment pas de rides et une peau plus jolie. C'est normal, quand vous consommez beaucoup de sucre, il y a une sorte de caramélisation qui se fait dans les cellules, entre l'oxygène brûlé par les cellules pour fonctionner et le sucre qui est présent. Donc en fait, quand on arrête le sucre, on a un teint moins jaune et généralement moins de rides.
Troisième, la perte de poids. En un an sans faire de régime, j'ai perdu 10 % à peu près de mon poids, je faisais 66 / 67 kilos au début et en faisais 60 à la fin.
Quatrième, j'ai perdu de la cellulite. C'est logique, la cellulite, c'est inflammatoire. Plus on consomme de sucre, plus on a un niveau d'inflammation à bas bruit permanent dans l'organisme.

Ensuite, j'ai eu beaucoup moins d'allergies respiratoires et de problèmes ORL. C’est aussi inflammatoire.
Chacun de nous est un « prototype ». J'ai constaté que toutes les personnes autour de moi qui ont arrêté le sucre ont toutes eu des effets bénéfiques. Diminution de la fatigue pour tout le monde. Perte de poids aussi. Ensuite ça dépendait, il y a des gens qui ont eu moins de problèmes articulaires, souvent inflammatoires ou de problèmes de digestion. Cela dépend des organismes.

Daniele Gerkens 2019 (c) Xavier Imbert

© Xavier Imbert

ELLE à Table. - Avais-tu fait des prises de sang avant et après pour ce livre ?

D.G. - Il se trouve que j'ai un problème de thyroïde. Je suis suivie par une endocrinologue depuis une douzaine d'années maintenant, et je l'ai vu 2/3 fois pendant la période du livre. On a fait plusieurs prises de sang et on a pu comparer les résultats avant et après. Je n'avais pas des mauvais résultats avant, pas de cholestérol mais on a quand même constaté au fur et à mesure de ce processus et au bout d'un an que les résultats étaient bien meilleurs. Mon cholestérol avait baissé, mes triglycérides avaient baissé. Tous les marqueurs étaient meilleurs même s'ils étaient déjà bons avant.

Ce serait très simple si en mangeant gras, on faisait du gras, c'est plus complexe que ça.

ELLE à Table. - Peux-tu nous parler du rapport sucre + gras ?

D.G. - Pendant cette période, je disais à mon endocrinologue « Docteur, je ne comprends pas, je perds du poids alors qu'en fait je ne fais pas du tout de régime. Enfin si j'excepte le sucre, je mange même plutôt plus qu'avant, je mange beaucoup de noisettes, d'amandes, d'avocats, de gras de jambon et je perds du poids. Elle m'a répondu « c'est complètement décorrélé, ce n'est pas le gras qui fait grossir. Ce serait très simple si en mangeant gras, on faisait du gras, c'est plus complexe que ça. » C'est vraiment une histoire d'association, le sucre, c'est très rare qu'il soit tout seul. Et d'ailleurs, faites l'essai, il n'y a personne qui s'amuse à manger des cubes de sucre toute la journée ou du miel.

Quand on prend des rats en laboratoire, les rats sont des mammifères et on n'est pas très différents en termes de métabolisme. Quand on leur met une motte de beurre, il ne se passe rien, ils vont prendre peut-être 1 % de poids mais rien de plus. On leur met un tas de sucre, il ne va rien se passer. Par contre, si on leur donne un aliment qui est moitié gras, moitié sucre, comme un cheesecake, ils deviennent fous et ne peuvent pas s'arrêter de manger.
C'est pareil pour nous, la Chantilly est le parfait exemple. Qui est capable de résister à la Chantilly ? 99 % du temps quand on mange du sucre, c'est un mélange de gras et de sucre : les gâteaux, les glaces, les crèmes, les yaourts, le chocolat, tout. On est programmés, nous les humains, comme tous les mammifères, pour être zinzin suite à l’ingestion du sucre, ça nous rend fous. Littéralement.

ELLE à Table. - Le sucre est addictif.

D.G. - Tous les addictologues avec lesquels j'ai échangé disent tous la même chose. Quand je leur ai raconté des différentes étapes de mon expérience de « sevrage », ils me disent, c'est rigoureusement les mêmes étapes que ce qu'on constate avec nos patients sur l'alcool, le tabac et les drogues considérées comme « dures ». Est-ce que c'est une drogue ? Je ne sais pas. Est-ce que c'est un produit addictif ? Oui et c'est addictogène, au-delà je ne sais pas.

ELLE à Table. - Aujourd’hui, continues-tu ce régime sans aucun sucre ?

D.G. - Pas du tout, j'ai arrêté d'arrêter très clairement. J'ai repris mais pas de la même façon qu’avant. Je me suis rendu compte que mon palais a changé. Il sature beaucoup plus vite du goût sucré qu'avant. Avant je mangeais deux boules de glace, maintenant au bout d'1/2, 3/4, je sens que mon plaisir descend. C'est très rare que je prenne un dessert. Je mange un peu de chocolat noir le soir après avoir dîné éventuellement. Mais là où avant je prenais plutôt plat - dessert à midi, maintenant je fais quasiment toujours entrée plat, j'ai plus envie. Ça peut m'arriver parfois de pas en manger pendant 2/3/4 jours sans problème particulier et je ne l'ai pas remplacé par les fruits. Je ne suis pas très fruit, je peux ne pas en manger pendant un mois quasiment.

ELLE à Table. - Vois-tu un effet immédiat quand tu consommes du sucre à nouveau ?

D.G. - Cela dépend ce que je consomme et combien. Si je mange deux carrés de chocolat noir ça va. Par contre, aujourd'hui si je mange une assiette de pâtes trop cuites, je ne me sens pas bien ensuite. Je sens vraiment quand j'ai la glycémie qui s'envole, ce qui est rare. Spontanément, je ne vais plus trop vers ces aliments-là. Je suis devenue hypersensible à ces pics de glycémie. Typiquement, si je me dis, j'ai envie d'un dessert par exemple, je prends un dessert à la fin du repas plutôt qu’un gâteau au goûter, parce que je sais que ça va se mélanger avec d’autres aliments et tempérer le pic.

ELLE à Table. - Avec ce recul de dix années avec une consommation nulle voire minimum, quels sont pour toi les aspects les plus positifs de l’arrêt du sucre ?

D.G. - Moins on en mange, mieux on se porte tout simplement, et mieux on vieillit. En fait, le sucre c'est exactement comme quelqu'un qui aurait une voiture à essence et mettrait volontairement du diesel dedans. Cela ne viendrait à l'idée de personne dans la vraie vie.
Consommer énormément de nourriture ultra-transformée, et beaucoup de sucre, c'est rigoureusement la même chose, à la différence près qu’on a qu'un seul véhicule, notre corps. Mais notre organisme s'en tire un peu mieux qu'une voiture. Quand on met du diesel dans une essence, elle s’arrête net. L’organisme, lui, est capable de gérer pendant 5, 10, 15, 20 ans, mais un jour, ça finit par coincer.

Moi, j'ai envie de vivre le mieux possible, dans la meilleure forme possible, le plus longtemps possible. Je vais avoir 50 ans, je n'ai pas de problème d'articulation, quasiment zéro ride, je dors bien, je digère bien, je n'ai pas de problème d'humeur. Je vais globalement assez bien et n'ai pas l'impression de vivre un truc difficile ou d'être dans une contrainte permanente. Par contre, cela nécessite un investissement. Je préfère investir un peu de mon temps, de mon énergie et une partie de mes revenus sur de la très bonne nourriture.

Entre nos organismes aujourd'hui et ceux des hommes des cavernes, il n’y a pas de différence. On est sur une différence de 0,1 %, on a les mêmes corps. Ce n'est pas ce qui a changé sur les 50 dernières années ou les 80 dernières années dans notre manière de manger et notre façon de produire la nourriture qui a changé quoi que ce soit chez nous. Nos corps ont été fabriqués pour se nourrir d'une certaine manière. Boire de l'eau ? Parce que les jus de fruits, ça ne poussait pas dans les arbres et puis manger des produits bruts : des noix, des amandes, des feuilles, des racines, de la viande, des poissons.
La nourriture, ce qu'on met à l'intérieur de nous tous les jours, c'est notre essence.

Le sucre est positif. C’est une bouée permanente.

ELLE à Table .-  Le sucre est aussi lié à la récompense.

D.G. - Plus on donnera à un enfant une alimentation peu sucrée, plus il aura un palais peu sucré. Moins, il aura aussi l'habitude de recourir au sucre dans toutes les circonstances difficiles.
Aujourd'hui, tous les événements de l'année sont rythmés par du sucré, que ce soit les fêtes, etc. Quand un enfant est triste, on lui donne un bonbon, quand un enfant a réussi quelque chose, on lui donne un bonbon. Du coup, le sucre est positif. C’est une bouée permanente.

J’ai réalisé que quand j'étais stressée, fatiguée, mon envie de sucre remontait donc j'ai dû découvrir et élargir mon registre de récompense. J'ai appris à faire un très bon thé, je ne suis pas quelqu'un qui écoute beaucoup de musique mais par exemple à écouter de la musique. À m'octroyer d'autres sources de plaisir et de bien-être pour compenser. Parce que spontanément, on va vers le sucre. Parce qu'on est éduqué à ça.

ELLE à Table. - Un point sur les édulcorants.

D.G. Les édulcorants sont un vaste sujet. Je ne suis pas sûre que les édulcorants soient des amis quand on veut décrocher du sucre. Au-delà des problèmes de santé, ça entretient le goût du sucré. Selon certaines enquêtes, quand on consomme quelque chose au goût sucré, cela provoque ce premier shoot de dopamine dans le cerveau. Derrière, notre organisme ne voit pas arriver le sucre sous forme de calories parce que les produits sucrés apportent un certain nombre de calories lors de la digestion. Mais la digestion de ces produits fait que la glycémie ne monte pas. Donc là, il y a un hiatus pour lui. On a eu le goût sucré, mais la glycémie ne bouge pas. Généralement les gens qui consomment pas mal d'édulcorants ont tendance à grossir. Sans doute parce que l’organisme ne s'y retrouve pas.